Le chat de Schrödinger, la tour d’ivoire et la marée de merde.

 

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Le poisson pourrit toujours par la tête. » (proverbe chinois)

Ce n’est même pas une nouveauté : l’Université est morte [1]. Non pas que le secteur de l’enseignement supérieur soit délaissé – il est au contraire l’objet de tous les appétits et il n’y a jamais eu tant d’étudiants en France [2] –, mais l’idée d’Université est morte dans l’imaginaire social. Dans les rares journaux qui lui consacrent quelques colonnes, on n’en finit plus de la déclarer en crise ; on s’interroge gravement sur l’effet de la dernière saignée gouvernementale ; on recommande le recours aux gadgets pédagogiques “innovants” les plus ineptes et l’on promeut, sans y toucher, les tristes écoles privées qui louent annuellement un stand au salon de l’orientation rigoureusement inutile qui porte, surprise, le nom du journal [3]. Dans un perpétuel chantage à l’effondrement, les responsables politiques, en médecins de Molière, assurent que l’Université va au désastre s’il n’y a pas consentement à une saignée de plus.

"J'ai toujours tâché de vivre dans une tour d'ivoire, mais une marée de merde en bat les murs, à les faire crouler", écrivait Gustave Flaubert à Ivan Tourgueniev à l’automne 1872. L’Université idéelle – la tour d’ivoire [4] – a pour mission de produire, transmettre, critiquer et conserver les savoirs. Ces savoirs y sont construits dans la durée par des travaux savants soumis à la contradiction des pairs et sont articulés comme des continuités autour de grandes “grammaires” méthodologiques – les disciplines – comme autant de manières d’aborder la compréhension du monde. L’objet de l’Université est ainsi la recherche désintéressée de vérités irréductibles à toute dimension utilitaire. Elle vise à constituer des individus autonomes, émancipés de tout déterminisme, en prise sur un monde qu’ils tentent de comprendre, et propres à investir et réinventer les imaginaires sociaux. L’Université comme communauté de savants est animée par son mouvement propre de questionnement endogène, qui crée le savoir comme un commun de la connaissance qu’aucun intérêt particulier ou privé ne peut s’approprier. L’Université suppose l’interrogation illimitée, qui ne s’arrête devant rien, qui ne se propose à priori aucune fin pratique et monnayable et qui se remet elle-même constamment en cause. L’Université nécessite donc que ceux qui la constituent créent leurs propres institutions et choisissent leurs propres modalités d’organisation dans la lucidité, en connaissance de cause, après délibération collective. En un mot, l’Université ne peut être qu’“autonome”, au sens d’autonomos « qui se donne à soi-même sa loi », et suppose libertés académiques, collégialité et indépendance à l’égard de tout ce qui peut en contrarier la maturation — à commencer par la recherche de la performance monétisable.

La marée de merde néolibérale qui bat les flancs de cette tour d’ivoire est faite de vagues de réformes sans horizon ni perspective sensible qui dévitalisent l’Université par dépossession de ses acteurs – étudiants et universitaires (personnels techniciens [5] et chercheurs [6]). Par un procédé de novlangue typique du néolibéralisme, et non sans une certaine dose d’humour noir, les vagues de dépossession ont été baptisées “autonomie” et les vagues de bureaucratisation et de précarisation, “excellence”. Elles visent, d’une part, à donner aux universités la conformation d’entreprises privées [7] et s’articulent autour de quatre volets :

  • l’“autonomie” administrative ; il s’agit de doter les universités d’un cadre juridique inspiré des sociétés de droit privé et d’un conseil d’administration non élu nommant des dirigeants non nécessairement universitaires.
  • l’“autonomie” de recrutement, d’évaluation et de gestion des personnels ; il s’agit de laisser les recrutements à la technostructure universitaire plutôt qu’aux pairs [8], de généraliser les contrats de droit privés (sortie de la fonction publique), de déréguler les salaires et de généraliser la précarité.
  • l’“autonomie” pédagogique ; il s’agit de généraliser, par la sélection à l’entrée des filières universitaires, la mise concurrence des étudiants et des formations, d’amenuiser les libertés pédagogiques des universitaires (au nom de l’attractivité, de l’employabilité et de la rentabilité des parcours) et de mettre fin au cadre national des diplômes.
  • l’“autonomie” financière ; il s’agit de déréguler les frais d’inscription pour substituer le financement privé au financement par l’Etat, et au passage de généraliser le recours au crédit des étudiants comme des universités.

Elles visent, d’autre part, à généraliser la mise en concurrence des établissements d’enseignement supérieur, ce qui suppose d’accentuer leur différenciation, en produisant délibérément des inégalités. Ainsi, la politique menée depuis six ans vise à séparer des universités “de recherche” au cœur des métropoles régionales, qui conservent leur moyens, des établissements “de proximité” paupérisés des villes secondaires et des banlieues [9] , et à individualiser les statuts des universitaires en conséquence.

L’ère néolibérale ébranle tous les fondements de l’Université. Les savoirs disparaissent au profit de compétences, segmentées, découpables, évaluables ; les étudiants, devenus entrepreneurs d’eux-mêmes, sont supposés faire l’acquisition d’un stock de compétences grâce aux investissements consentis dans leur formation ; les universités se doivent en conséquence de devenir des usines à diplômer, garantissant la valorisation de ce capital de compétences ajustées à des filières préformatées par une fructification à venir sous forme d’avenir professionnel et des statuts et revenus correspondants. Le raisonnement, l’exigence intellectuelle et les savoirs sont alors frappés d’obsolescence puisqu’il s’agit d’acquérir technicité (l’archétype de la compétence technique: Ctrl-C Ctrl-V) et compétences comportementales (“savoir être” et autres soft skills) théorisées par le néomanagement : confiance, empathie, intelligence émotionnelle, communication, gestion du temps et du stress, audace, motivation, présence, vision, etc. Le stock de compétences constituant l’individu lui-même en capital humain inclut, en plus de ces acquis, les aptitudes innées, le capital culturel hérité du milieu familial, le capital physique dûment entretenu par la pratique sportive, la capacité de prédation sexuelle, etc. Si la mutation de l’Université est aujourd’hui un tel enjeu politique, c’est que s’y joue la formation de l’individu social, intégrant les mécanismes de perpétuation du système.

Ce que n’avait pas anticipé Flaubert, c’est que la marée de merde puisse battre les murs de la tour d’ivoire par l’intérieur. Si la dévitalisation de l’Université est si rapide, c’est que les vagues de réformes ont fait apparaître une caste nouvelle au sein de l’institution qui s’est attribuée, mettant fin à la collégialité universitaire et ne rencontrant guère de résistance, les rôles – ainsi que les gratifications symboliques et matérielles afférentes – de “décideurs” (managers et PDG) dépossédant les universitaires de leur métier et les réduisant au rang de simples exécutants. Petits hommes gris et ternes sans goût pour le savoir qu’ils méprisent, ils s’expriment, présentation pahoueur-pognette à l’appui, dans un sabir de communicant à peine compréhensible, constitué de lieux communs et de mots d’ordres, de normes et de procédures, de contrats d’objectif et de classements, de certifications et d’indicateurs de performance – métastases de cette forme de bureaucratie particulière qu’ils appellent “gouvernance”. Il serait pernicieux de penser que cette technocratie d'apparatchiks en costards-cravates est unanimement rejetée par les universitaires ou qu’elle assoit son pouvoir sur la manipulation ou la coercition. En réalité, le cauchemar climatisé qui s’installe réussit à gagner la servitude volontaire et le consentement de nombre d’universitaires par l’accaparement et la redistribution d’une part croissante des ressources des établissements (primes, promotion, financements, etc), par la peur du déclassement, mais aussi par simple légitimisme panurgique vis-à-vis des règles instituées.

Pourtant, malgré ces agents de la tristesse, malgré la pénurie savamment gérée et malgré l’abattement qui gagne les esprits après tant de batailles perdues, à chaque rentrée, le même miracle se reproduit. La machinerie universitaire se remet en branle comme un funambule monte sur son fil… Ici, ce sont deux secrétariats pédagogiques que l’on a fusionnés, divisant par deux la capacité à accueillir les étudiants. Là, c’est la collègue qui faisait les emplois du temps qui a été mutée au Pôle communication – en 180 secondes –, de sorte que les amphis n’ont pas été réservés. Et pourtant on se démerde. Le fil d’acier, qui semblait mort, tient bon et le funambule avance, comme un demi-dieu malgré les vertiges… Et les cours ont lieu, de haute volée. Des îlots d’autonomie intellectuelle s’entretiennent ça et là, dans les interstices ou dans des niches abritées du raz de marée bureaucratique. Les recherches sont parfois faites à l’arrache, sur fonds personnels, sans livrables ni reporting à l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) – qui gratte les derniers euros pour entretenir sa masse salariale. Mais cela ne dure qu’un temps : on s’use à la longue et le dénuement tue ce qu’il reste d’enthousiasme.

Si les universités fonctionnent encore malgré les conditions qui lui sont faites, c’est parce qu’il reste une majorité d’universitaires et de techniciens qui vit encore l’imaginaire de l’Université-tour d’ivoire. Le néolibéralisme a beau n’exalter que l’entrepreneur et le gagneur-jouisseur, nous restons nombreux à investir les types anthropologiques hérités des périodes antérieures – fonctionnaire intègre, responsable administratif consciencieux, enseignant par vocation, comptable honnête au service de l’Etat, étudiant trouvant par les livres une vie augmentée, chercheur amoureux de la belle ouvrage… Si l’Université idéelle est morte aux yeux de presque tous, elle est en même temps en vie dans l’imaginaire et dans la pratique de ceux qui n’ont ni renoncé ni été corrompus par la promesse infantile de compter parmi les gagnants. L’Université a été créée à la suite de la Renaissance du XIIème siècle; elle peut s’auto-instituer à nouveau, dans un retour aux sources qui en renouvelle l’imaginaire et le fonctionnement, à l’occasion d’une Renaissance du XXIe siècle.

L’Université en sa tour d’ivoire est un chat de Shrödinger. Le cortège de régressions en marche – sélection des étudiants, dérégulation des frais d’inscription, différenciation des statuts des universitaires de proximité et d’excellence – peut la faire bifurquer vers une dévitalisation durable ou vers cette renaissance.

[1] Pierre Ryckmans, alias Simon Leys, faisait déjà ce constat en 1996, sur la radio nationale australienne ABC, lors d’une “Boyer lecture”.

[2] Il y a environ 2,5 millions d’étudiants dont 1,6 millions à l’Université.

[3]  Il arrive parfois que l’école privée dont la réclame est faite appartienne à l’un des actionnaires majoritaires du journal.

[4] Nous reprenons ici la métaphore de la tour d’ivoire en référence au célèbre discours prononcé à Louvain le 18 novembre 2005 par Simon Leys.

[5] Nous utilisons le mot “technicien”, faute de disposer d’un mot collectif connoté plus positivement pour désigner ceux qui apportent au quotidien le soutien nécessaire à l’enseignement et la recherche. Ils sont désignés au sein de l’institution par l’acronyme “biatss” pour “bibliothèques, ingénieurs, administratifs, techniciens, de service et de santé”.

[6]Cette catégorie de personnels comprend les chercheurs et les enseignant-chercheurs.

[7] La convention parue au journal officiel du 31 décembre 2017 a créé le cadre juridique des “sociétés universitaires et de recherche” qui serviront de base pour les étapes de transformation à venir.

[8] Le gouvernement Cazeneuve, avant de quitter piteusement ses ministères, a ainsi promulgué un décret permettant aux présidents et vice-présidents de devenir professeurs des universités sans passer par la procédure collégiale habituelle : Décret n° 2017-854 du 9 mai 2017

[9] La convention parue au journal officiel du 24 décembre 2017 officialise ce système d’Université à deux vitesses et annonce la fin des programmes d’excellence après lesquels les technocraties universitaires n’ont eu de cesse de courir.

Il était un Petit navire…

 

Courrier des lecteurs.

Nous recevons à chacun de nos billets un courrier abondant dont notre médiateur a souhaité tirer une esquisse de typologie appuyée sur quelques extraits, en mettant de côté les messages d’encouragement.

Bien que nous nous réclamions d’un mouvement social-historique attaché à la liberté, au savoir, à l’exigence et à l’émancipation, nombre de messages commencent par nous assigner à une case — suscitant dans nos rangs de folles hilarités. “Ce texte est caractéristique du néo-trotskisme”, écrit l’une. “Oui mais vous préférez Le Pen ?”, demande un autre. Un troisième nous voit de “vieille tradition stalinienne”. Un autre se montre plus précis dans ses qualificatifs: “Ca me rappelle juste une secte conspirationno-scientolo-anticomplo-anti-blochiste, en fait.”. Nos billets, nous écrit un collègue dont nous observons l’effort constant à intégrer la machinerie de réputation nombriliste qui constitue l’essentiel du débat intellectuel dans la presse, sont des “considérations marxistes pathétiques dignes d’un mauvais tract de LO”. D’autres encore, nous voient adeptes du “socialisme étatiste français” qui a causé la “ la ruine du système éducatif”, niant la “catastrophe mitterrandienne qui par la fonctionnarisation de l'ensemble des métiers de la recherche, a abouti à une anesthésie générale de la possibilité d'autodétermination.” “Dans la lutte des classes, vous êtes du côté du manche”, nous reproche un militant du Parti Socialiste.

Se sentent-ils visés? Nombre de missives proviennent du middle management universitaire. Ainsi, cet ancien président connu pour ses menées autoritaires, qui parvient à placer le mot “totalitaire” dans une phrase sur deux: “Et quand venez-vous couper la tête aux irrécupérables qui trouvent l’économie de marché sans doute pas parfaite mais quand même bien préférable à tout le reste de connu et en particulier à un monde où des gens aussi fumeux que vous décideraient pour nous !”

Nous nous efforçons de proposer des textes analytiques munis d’un appareil de notes qui trouvent la demi-teinte entre le travail savant et le billet d’humeur [1]. Nous nous efforçons aussi — condition nécessaire à toute pensée — de mettre en question l’institué, d’interroger et de critiquer ce qui est. Le courrier des lecteurs en donne une autre image: “charabia !”, “logorrhée”, “chasse à l'homme !”, “dénonciation calomnieuse”, "tas de crétins !”, “faites plus court”, “verbiage insipide”, “prose haineuse”, “billets ineptes”, “faut arrêter la branlette !”.

Si les collègues hissés dans la technostructure bureaucratique ont systématiquement recours à l’injure, d’autres, plus lettrés, donnent dans l’ironie mordante:

“Chers camarades,
Je viens de lire votre éloquent billet intitulé "Le chat de Schrödinger, la tour d’ivoire et la marée de merde ". J'en ai trouvé l'épigramme, "Le poisson pourrit toujours par la tête", très adapté, effectivement, à la situation de notre université. Il est évident que vous parlez en connaisseurs.
J'ai tout particulièrement apprécié que vous ayez commencé en citant Flaubert :
"J'ai toujours tâché de vivre dans une tour d'ivoire, mais une marée de merde en bat les murs, à les faire crouler."
Attention cependant au retour de bâton, de la part d'universitaires cultivés (car il y a encore quelques poissons sains). D'un point de vue marxistoïde, Flaubert sent en effet beaucoup le soufre, puisqu'il est aussi l'auteur de ces lignes :
"J'ai en haine tout despotisme. Je suis un libéral enragé. C'est pourquoi le socialisme me paraît une horreur pédantesque qui sera la mort de tout art et de toute moralité."
Pas sûr, donc, que sa locution "marée de merde" désignait le libéralisme, sous quelque forme que ce fût (néo-, ultra-, turbo-, etc.). Dans son esprit il s'agissait sans doute d'un autre mouvement de "pensée"...
Dans le mien aussi.”

De temps à autre, nous recevons anonymement des textes proposés à la publication. Ainsi, celui-ci, réagissant au « message aux personnels » du nouveau directeur du CNRS, et signé du collectif Kylo V. Nèr.

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Il était un Petit navire…

Au départ on pense à un jeu, un pari entre mecs bourrés : « tiens, pas cap’ de mettre trois fois ‘’innovation de rupture’’ en deux pages dans un message officiel ? »
Et puis finalement non, ce ne doit pas être ça. C’est vraiment le « message aux personnels » d’Antoine Petit, nouveau directeur du CNRS, suite à sa prise de fonctions. Un scientifique remarquable, qui a fait paraît-il un bon travail à la tête de l’INRIA.
Il y a donc là-derrière autre chose qu’un idiot défi.
Alors, forcément, on s’agace. Puis, on réfléchit à ce qui se passe ici. L’homme qui réfléchit, comme l’a superbement dit Rousseau, est un animal dépravé ; la dépravation fait alors son œuvre dans les esprits.

On est chercheur. On se souvient lorsqu’on arrivait dans le monde des sciences humaines des années 1990, il y avait encore de ces dinosaures de la recherche qu’on croisait dans les couloirs, qui d’année en année répétaient « je termine mon grand livre… », et qui au bout du compte et grâce aux deniers de l’Etat perçus pendant des décennies ne publièrent qu’une notice biographique d’Ampère ou Volta dans la gazette régionale d’EDF… On était content, au final, que ces fossiles fussent relégués au placard à balais par la nouvelle génération, celle qui pensait résultats, projets, listes de publications, bibliométrie, scientométrie, évaluations – un peu selon le modèle de l’outre-Atlantique déjà… On était enthousiaste, ou presque, on sentait le vent nouveau. Puis on a vu s’accumuler les acronymes, les Crac, les Ribac, la grande famille des EX, les Labex, les Equipex, les Idex, les Putex, la compétition acharnée pour récupérer les millions, comme dans un jeu télévisé célèbre, les agences de com’ sollicitées pour répondre aux appels d’offre… Mais on a joué le jeu: les h-indexes, les concours d’Exs, les projets COST ou ANR ou ESF ou MC ou H2020, etc. On était encore il y a si peu presque en phase avec la nouvelle direction de la recherche, laquelle, derrière son disruptif de chef, surenchérissait dans le style de ladite nouvelle génération. Presque.

Et puis aujourd’hui dans ce message que l’on reçoit et qu’on va lire, le CNRS est nommé: « vaisseau amiral de la recherche française ». On comprend bien, il en va de toute une stratégie complexe à mettre en place aujourd’hui, entre les universités en guerre (non, pardon, en « quête d’autonomie »), les divers plans européens de recherche, les polémiques sur le CICE et la part de la recherche dévolue à la R&D dans les entreprises, etc. Acceptons donc la métaphore maritime.

Ainsi, ce navire devra « avoir l’ambition de conforter cette place en développant des partenariats avec les acteurs du monde académique, universités, écoles et autres organismes de recherche, du monde industriel, grands groupes, PME/ETI et startup, les collectivités territoriales et notamment les conseils régionaux et les principaux acteurs sociaux. » Evidemment, on n’a rien contre la bonne entente ; mais tout de même, pourquoi les start-ups, les PME, les ETI, tout ce monde ? En quoi exactement les nouveaux développements scientifiques sur l’homotopie, la microhistoire ou la théorie des multivers devraient-ils intéresser les « conseils généraux » ? D’emblée, le message du directeur du CNRS affirme sa miscibilité affirmée avec tout un tas d‘instances qui n’ont pas grand-chose à voir avec la recherche.

Certes, le lecteur charitable dira qu’il faut faire la part de la novlangue de rigueur. Pour diriger ce cuirassé massif de la recherche, on doit sans doute accepter de parsemer son discours de signaux comme cette jolie phrase : « nous mettrons au cœur de notre action l’avancée des connaissances pour le rayonnement de la France, pour une société de progrès et pour des innovations de rupture. » Même si « société de progrès », c’est vide et ça ne veut rien dire, ça fait tout de même toujours plaisir, un peu comme de parler de la neige ou des voies sur berges à Paris…

Mais ce message au petit personnel porte, incontestablement un « message ». Relisons-y les « priorités » du CNRS :

  • « Soutenir dans tous les domaines une recherche fondamentale au meilleur niveau mondial ;
  • Promouvoir la pluridisciplinarité, en particulier autour des grands problèmes de société ;
  • Travailler en lien avec les acteurs industriels et économiques sur les innovations de rupture ;
  • Jouer un rôle moteur dans la présence de la recherche française au niveau international, notamment dans les grands programmes et infrastructures ;
  • Refonder les partenariats avec des universités autonomes ;
  • Apporter une culture et une expertise scientifiques aux décideurs, et à la société »

Si cela pourrait sembler consensuel à beaucoup, en réalité ces six points dessinent une orientation assez nette ; ainsi, seule la première de ces priorités a à voir avec la recherche, et le reste indique une stratégie dont on va maintenant questionner le bien fondé.

Il s’agit donc d’abord de penser l’insertion du CNRS dans ce qui n’est pas lui. Les universités, cela va de soi - mais quasiment tous les labos sont affiliés à des universités, donc pourquoi parler de « partenariat à refonder » ? La mention de la « place de la recherche française » indique simplement en creux que la recherche devient une grande arène compétitive et qu’il faut probablement accentuer la compétition à l’intérieur de la France, selon le principe biologique exact que les bons compétiteurs seront meilleurs en dehors de l’environnement s’ils sortent d’une compétition intraenvironnementale plus serrée.

Mais surtout, on voit bien comment la recherche ici viserait à satisfaire des demandes externes : les décideurs, les problèmes de société, les acteurs économiques, etc. Or, que veut dire exactement « travailler avec les acteurs industriels et économiques sur les innovations de rupture » ? Si cela consiste à aider à fabriquer l’iPhone 16, croit-on vraiment que cela se concilie aisément avec « soutenir dans tous les domaines une recherche fondamentale au meilleur niveau mondial » ?

Une telle ode à l’ « innovation de rupture » [2], dont on sait bien qu’elle ne provient pas des labos d’informatique ou de paléoanthropologie du CNRS, mais bien de de « ceux qui ont réussi » [3], y a-t-on réfléchi vraiment ? En quoi l’innovation serait-elle un but en soi de la recherche ? Bêtement, on pensait que la recherche vise à la connaissance (on est complètement 1.0, au fond..).

Par exemple, innover pour atteindre l’iPad 18 Stellar directement connecté à un patch intracérébral, afin d’envoyer toutes les données sur nos rythmes de vie à des fabricants d’oreiller e-alive ou de sextoys éthiques chinois, est-ce vraiment la marque d’une « société de progrès » ? Pour le dire ingénument, est-ce juste, est-ce bien? Puisqu’en tout cas il n’est plus question d’être vrai…

Et d’ailleurs sait-on vraiment ce que l’on dit quand on vante cette « innovation » sur tous les tons ? On a pu très sérieusement soutenir que l’innovation, au fond, la vraie, c’est fini, puisque toutes les technologies dont on use ont été élaborées dans les années 50-80 : nucléaire, computation, protocoles internet, supraconductivité… ; et le reste, aujourd’hui, ne serait que raffinement incrémentiel [4]. Thèse discutable, certes, mais on y pense ici simplement parce que l’innovationisme au fond ne va réellement pas de soi; et qu’en revanche un beau problème pour chercheurs consisterait à évaluer cette thèse minoritaire et apparemment paradoxale…

Certes il y aurait un argument économique à cet enthousiasme pour l’innovation de rupture : en dernière instance – et sans doute Marx lui même serait d’accord avec ça – c’est l’innovation qui alimente la croissance (économique). On l’entend ; mais précisément, est-ce bien le moment de tout indexer sur la croissance ? N’y a t il pas un sens à écouter un instant le discours qui questionne la valorisation inconditionnelle de la croissance comme but? On sait bien que la planète est en mauvais état, avec son climat changeant et ses animaux en voie d’extinction galopante : est-ce le bon contexte pour croître sans se poser de questions ? Et de continuer ainsi cette sorte de course aux armements entre solutions technologiques à des problèmes, puis problèmes neufs posés par ces solutions, puis nouvelles solutions technologiques à ces nouveaux problèmes, et ainsi de suite – cycle vicieux dont on a montré à quel point il faisait corps avec la modernité [5] ?

Peut-être la réponse à ces questions est-elle quand même un grand « oui ». Reste que se les poser, concevoir les moyens de les formuler rigoureusement et de les résoudre (donc avec des données, des modèles, des théories, voire un minimum de réflexion et de mise en perspective, etc.) constitue justement une part de ce que veut dire faire de la « recherche fondamentale » ! Présupposer qu’il va de soi que l’on doive activement startuper en navire amiral de l’innovation de rupture qui entraînera « sans silo » [6] les collectivités territoriales, c’est exactement le contraire de la recherche fondamentale.

Et c’est bien cela qui est choquant dans ce message aux chercheurs entérinant sans distance aucune l’exaltation contemporaine de l’innovation, le mythe de la start-up fraîche et créative comme visage de la modernité, l’alignement sur la compétition mondiale généralisée. Sans compter l’ancillarisation de la recherche même, au service des « acteurs industriels » et des « décideurs »… Là où près de 70% des start-ups en réalité se plantent, où l’industrie et l’économie au fond sont à la traîne de la finance au sein de laquelle se joue la vraie guerre économique, où les « problèmes de société » sont définis par un calendrier changeant, au gré des émotions publicisées et des stratégies politiciennes, on voudrait que la recherche se modelât et se pliât à ces contraintes qui n’en sont que pour ceux qui se les donnent ?

Ne nous méprenons pas : on n’entame pas ici le refrain de la recherche fondamentale contre la recherche « appliquée », la dénonciation gauchiste de toute collaboration avec le privé et l’industrie, l’éloge collatéral de la gratuité du savoir désintéressé – armé de l’argument récurrent que les grandes avancées technologiques ou scientifiques proviennent de spéculations totalement déconnectées de tout but pratique (e.g. la géométrie riemanienne, la physique quantique, l’algèbre booléenne, etc.). Non, on n’a évidement rien contre le fait que la recherche coopère avec l’industrie, que la biologie par exemple ait un œil sur le traitement des maladies, ou la logique une parenté avec la microinformatique. C’est d’ailleurs déjà ainsi dans le travail quotidien du chercheur individuel. Mais la présente réaction agacée vient ici du fait que, quoiqu’il en soit de tout l’intérêt de l’application de la recherche, et quelle que soit l’indéniable vérité contenue dans l’affirmation de notre nouveau président selon laquelle « la science est à l’origine de beaucoup d’innovations de rupture qui permettent la création d’emplois et de valeur », ce n’est pas là le but et l’essence de la recherche. Celle-ci ne s’est aucunement constituée « pour le rayonnement de la France, pour une société de progrès et pour des innovations de rupture », et si elle l’atteint c’est en quelque sorte par surcroît.

Pour résumer, on voit bien combien ce message venu d’en haut prolonge et entérine tout ce qui investit le monde de la recherche, et dont on comprend qu’en réalité cela était à l’oeuvre depuis bien longtemps, bien avant ce macronisme devenu aujourd’hui notre lot :

  • le langage de l’entreprise moderne (« livrables » « work packages », « flow chart », « teambuilding », « piaïe [7] », etc.) soucieuse du bien-être de ses salariés – avec aujourd’hui ses chief happiness officers – mais gouvernée par une concurrence auparavant inouïe ;
  • le court-termisme total indexé sur la sphère médiatique qui détermine les « grands problèmes de société »: on aura vu afficher des postes universitaires dédiés à cette « radicalisation » dont personne n’est foutu de donner une définition non-inepte, puis des millions donnés aux « réfugiés » états-uniens pour sauver la planète parce que le grand méchant Trump les en empêche depuis un an, puis des fonds sortis de nulle part pour demander à la recherche de combattre de le terrorisme et le « complotisme »…
  • la mise en scène grotesque de la recherche – ainsi, on voit des jeunes femmes et des jeunes gens sommés de jouer au stand-up comedian pour présenter à un public une thèse sur la réduction des télomères ou les naines blanches « en 180 secondes » – et bientôt en un tweet, avant que l’exercice même de la thèse ne se réduise à un « thread » ou un « storify »…

Ainsi on repense au vent nouveau qui se levait il y a vingt ans et, sans toutefois donner raison aux dinosaures évoqués plus haut, on se dit que c’est allé trop loin ; qu’il faudrait au contraire que le monde académique résistât, affirmât que les thèses ne se font pas en 180 secondes, que la recherche, si elle doit certes savoir se dire au grand public, n’est pas toute entière une affaire de comm-comm (« Commercialisation & Communication »), une béquille pour start-ups pourrissantes, une tactique pour au final générer plus d’emplois et de plus-values [8]. Qu‘à ce compte là, avec les diplômes et les compétences qu’on a, autant aller travailler dans la banque, c’est tout aussi honorable, mieux payé et, dans l’état actuel des choses, moins con.

Seulement le message de Petit ne va pas du tout dans ce sens-là… En revanche, il vient de donner simultanément raison aux adversaires de toujours qui hantaient les couloirs de l’université pour se haïr immémorialement : le syndicaliste barbu pour qui a priori « le capitalisme c’est le mal », et le vieux réac en costume, convaincu que de toutes façons tout est foutu depuis qu’on a cessé de parler latin. Tous deux râlent comme toujours ; et ils peuvent râler, car malheureusement le monde semble leur avoir donné raison ces jours-ci, il a bel et bien oublié le lien étroit et quasi-trivial entre science et connaissance, à force de le recouvrir de cette langue dont bureaucrates, « communicants » et publicitaires tirent sinon leur pécule, du moins leur jouissance.

[1] Le lectorat en ligne varie entre 3000 à l’étiage et 23000 pour l’analyse des programmes électoraux. Nous ignorons le nombre de lecteurs touchés par mail. Remercions ici tous ceux qui en assurent la propagation sur les listes de discussion locales.

[2] “Breakthrough innovation”, dans la version anglaise, et on se demande pourquoi “disruption” a disparu dans l’affaire.

[3] L’allusion ici va à la métaphore dite ‘de la gare’, appelée sans doute à devenir célèbre pour les historiens du macronisme; le chef de l’Etat y partitionnait la société en ‘ceux qui ont réussi’ et ‘ceux qui ne sont rien’.

[4] Hanlon M. ‘’The golden quarter’’, Aeon, décembre 2014. https://aeon.co/essays/has-progress-in-science-and-technology-come-to-a-halt.

[5] On pourrait soutenir que l’insuffisance des solutions purement technologiques, due au fait qu’elles induisent de nouveaux problèmes, était déjà envisagée par l’économiste néoclassique Stanley Jevons dans The coal question (1865). Evidement il y a aussi de nombreuses analyses marxistes de cette question, attribuant l’insuffisance de toute ‘solution’ technologique à la persistance du régime de production capitaliste - e.g. Sweezy, P., “The Guilt of Capitalism », Monthly Review, 49, 2.

[6] C’est dans le “message aux personnels” ; merci de nous expliquer un jour.

[7] Pour les intimes ; sinon PI, acronyme de « Principal Investigator ».

[8] Comme cela est aussi explicitement dit dans ce « message personnel ».

Des étudiants étrangers aux gilets jaunes.

 

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Pétition ouverte à la signature.

De temps à autre, nous recevons anonymement des textes proposés à la publication. Nous avons souhaité diffuser celui-ci, qui réagit à l’annonce par le Premier Ministre d’une augmentation des frais d’inscription pour les étrangers. On trouvera en note [1] un ensemble de textes écrits en protestation contre cette mesure.

“Arrêtons l’hypocrisie. Les visas étudiants, c’est une filière d’immigration.”

M Macron, 11 décembre 2018.

“Notre stratégie : opérer une forme de révolution pour que notre attractivité ne soit plus tant fondée sur la quasi-gratuité que sur un vrai choix, un vrai désir, celui de l’excellence. (…) Un étudiant étranger fortuné qui vient en France paye le même montant qu’un étudiant français peu fortuné dont les parents résident, travaillent et payent des impôts en France depuis des années. C’est injuste.”

M Philippe, 20 novembre 2018.

“La France, c'est un fait, consacre une dépense publique élevée à ses formations, et c'est un pari heureux sur l'avenir de sa jeunesse. Nous devons maintenir cet effort et même l'amplifier si possible. En contrepartie, je propose d'augmenter les droits de scolarité dont s'acquittent les étudiants étrangers quand ils étudient dans notre pays. Il n'est pas question de les augmenter à un niveau où ils deviendraient dissuasifs car la France s'honore de former des étudiants qui deviendront à leur tour des ambassadeurs de notre culture. Mais ces droits sont actuellement très bas et doivent mieux refléter le coût qu'ils induisent pour le contribuable français.”

Mme Le Pen, 31 mars 2017.[2]

Avec un art consommé du timing politique, puisqu’au milieu de la mobilisation des gilets jaunes, le premier ministre a annoncé une augmentation des droits de scolarité à destination des étudiants étrangers, espérant sans doute que personne n‘irait s’émouvoir du sort de ces derniers.

C’est pourtant un signal inquiétant, et à plusieurs titres.

D’abord par le caractère insultant d’un argumentaire [3] qui laisse entendre que le faible coût des diplômes français serait la seule motivation des étudiants qui souhaitent étudier en France (et quelle curieuse façon ce serait, si c’était leur seule motivation, de promouvoir le système universitaire français par une hausse de son coût !). Parce que nous sommes enseignants-chercheurs, nous recevons depuis ce matin des messages bouleversés et humiliés d’étudiants mexicains, chinois, turcs… qui ont eu la faiblesse de croire aux valeurs que notre pays prétend incarner et se voient soupçonnés d’être des profiteurs.

Inquiétant, ce signal l’est aussi parce qu’il ouvre la porte au déploiement en France de plusieurs étapes de la marchandisation internationale de l’enseignement supérieur: à partir du moment où l'on vend des études (nous avons pu en avoir l’expérience pour ceux d’entre nous qui ont enseigné comme professeurs invités dans des universités étrangères à 40.000 euros l’année), il devient bien difficile de ne pas donner ce diplôme qui a été en fait acheté.

Autre effet collatéral que l’on peut anticiper dans le cas de cette bascule : à qui viendra acheter des diplômes, il faudra bien sûr permettre de les acheter dans la monnaie linguistique internationale, l’anglais, alors que la régulation par la langue des études aboutissait dans son immense majorité à limiter les études en France à qui avait déjà fait l’effort de maitriser le français (pas toujours parfaitement soit, mais ce point là était améliorable) ; un principe de régulation plus porteur d’une démarche intellectuelle que la sélection par l’argent.

On répondra, parfois de bonne foi, qu’il n'y a aucune raison que le contribuable français paie pour les études de jeunes chinois qui ne paient pas d’impôts en France [4]. Ce raisonnement est spécieux, et à plusieurs titres. Il néglige évidement le bénéfice que pourrait retirer notre pays à continuer à promouvoir une langue pas si marginalisée que ça, et dont les échanges et le rayonnement international pourraient se soutenir. De plus ce raisonnement pourra vite se retourner contre d’autres : pourquoi les taxes et impôts des plus modestes en France iraient-ils aussi abonder le financement des études des enfants des classes moyennes ? Ou de n’importe qui faisant des études quand soi-même l’on n’en fait pas ? Toute l’histoire de l’immigration montre qu’une innovation (en général répressive) en matière de politiques publiques appliquée aux étrangers ne s’est jamais arrêtée à ces derniers. Derrière la porte ouverte à l’augmentation des frais d’inscriptions pour les étrangers, et en dehors même de l’image singulièrement rabougrie qu’elle donne de notre pays et de son attractivité intellectuelle, c’est demain la perspective d’une augmentation des frais d’inscription pour tous qui se dessine [5]. Et qui demain exclura, au premier chef, les enfants des gilets jaunes d’un enseignement supérieur en passe de leur tourner le dos, comme l’ont déjà fait tant d’autres services publics.

[1] Appel à un rassemblement le 1er décembre
Tribune de 14 associations et syndicats étudiants

Billet de blog d'Olivier Ertzscheid
#BienvenueEnFrance

Billet de blog de Yann Bisiou
Frais d’inscription pour les étudiants étrangers : Guéant sort de ce corps !

Billet de blog de Paul Cassia
Augmenter les frais d’inscription des étudiants étrangers ? Pas en mon nom.

Tribune d'Eric Fassin et Bertrand Guillarme
Attirer les plus riches et, en même temps, écarter les plus pauvres.

Tribune de Pierre Bayard, Denis Bertrand, Jean-Louis Fournel et Mireille Séguy
Augmentation des droits d’inscription pour les étrangers : le choix de l’inégalité

Tribune d'Augusta Lunardi
Monsieur le premier ministre, vous ne connaissez pas notre réalité

Tribune d'Hicham Jamid
Débat : « Bienvenue en France » aux étudiants étrangers, vraiment ?

Tribune d'Isabelle This Saint-Jean
Pour attirer les étudiants étrangers, le gouvernement veut les faire fuir

Tribune d'un collectif de chercheurs en philosophie
Comment le gouvernement veut procéder à un tri sélectif des étudiants étrangers.

Tribune d'Isabelle This Saint Jean, Frédéric Sawicki, Politiste, Marion Fontaine, Didier Chatenay, Frédérique Matonti et Michel Saint Jean
Faire payer les étudiants étrangers pour mieux faire s'endetter tous les étudiants.

Tribune de la section internationale de l'ENS Nous, étudiants étrangers, défendrons l'enseignement public français

Tribune d'un collectif d'étudiants de l'ENS.
On étudie ici, on reste ici

[2] Le programme de Mme Le Pen pour l'élection de 2017 comprenait essentiellement deux mesures:
• la fin du système Admission Post Bac (APB), jugé engendrer une "sélection par l'échec" et un tirage au sort "injuste" au profit d'un système fondé sur des "prérequis".
• l'augmentation des frais d'inscription pour les étudiants étrangers
Source:
Programme de Marine Le Pen pour l'Université.

[3] Dans le journal Le Monde
Universités : les étudiants étrangers devront payer plus cher.

Dans le journal Le Monde
Les étudiants africains, laissés-pour-compte de la nouvelle stratégie universitaire française.

Dans le journal Le Monde
Hausse des frais universitaires : « un rêve qui se brise » pour les étudiants africains

Sur Mediapart
Frais d’inscription pour les étudiants étrangers: une logique contraire à l'intérêt général et au service public.

Dans le journal Libération
Le gouvernement va faire payer plus cher les étudiants étrangers : est-ce légal?

De l'apathie à la reconstruction de l'Université

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Exigence, liberté, émancipation

« Qui connaît l’autre et se connaît lui-même, peut livrer cent batailles sans jamais être en péril. Qui ne connaît pas l’autre mais se connaît lui-même, pour chaque victoire, connaîtra une défaite. Qui ne connaît ni l’autre ni lui-même, perdra inéluctablement toutes les batailles. »
Sun Tzu.

Chacun ne peut que faire le constat de l'absence totale de changement de politique universitaire lors de la dernière alternance politique [1]. Comme l'ont dit M. Berger et M. Belloc, conseillers respectifs de M. Hollande et M. Sarkozy, lors du colloque #Univ2020, « Quel enseignement supérieur pour la France en 2020 ? » : "Sur les sujets ESR, il y a un consensus gauche-droite." Sans doute la ligne de fracture passe-t-elle maintenant entre ceux qui ont choisi de faire carrière dans la bureaucratie, et ceux dont le métier consiste à créer, transmettre, conserver et critiquer des savoirs.

La Boétie a montré, dans le Discours sur la servitude volontaire, comment tout pouvoir, si autoritaire ou bureaucratique soit-il, doit rencontrer de nombreux appuis parmi les cercles concentriques des individus qui y trouvent, ou croient y trouver, leur avantage — quelque mince privilège. L'incroyable œdème bureaucratique de la dernière décennie, et l'accumulation nuisible de couches de sédiments administratifs (Labex, Equipex, Idex, ComUE et sous-structures des ComUE, facultés et pôles), ont ainsi conduit à la multiplication de chargés de mission, de vice-présidents, de membres de comités théodules, de préfigurateurs de pôles, tous appareillés de décharges, primes et pouvoir de distribution clientéliste de ressources dans le cadre de micro-agences de moyens. Nous voilà dépossédés de nos biens les plus chers : le contrôle du cadre intellectuel de notre métier, des nos moyens d'agir et de penser, de nos libertés académiques et de notre temps. Et pourtant, nous sommes l'Université.

Le plan de bureaucratisation libérale de l'Université n'a rien de secret, qui gît au cœur du processus de Lisbonne et d'Horizon2020 et comprend trois volets : l'autonomie de gestion des personnels (RCE et RGPP), l'autonomie administrative (LRU et loi Fioraso). Et nous sommes entrés de plain pied dans la troisième phase : l'autonomie financière. L'ensemble du processus est piloté selon les techniques du néo-management, avec son long cortège de gadgets destinés à asservir, déposséder, désorganiser (projets, évaluation, compétences, contrat d'objectifs et de moyens, etc). Les usines à gaz bureaucratiques qui nous ont été imposées (ComUE) constituent une étape particulière de ce processus qui, en poursuivant l'éloignement des lieux de décision des lieux d'élaboration (laboratoires) et de transmission (composantes) des savoirs, amorce un processus délétère de séparation entre des noyaux de recherche concentrant les moyens — la plupart des universités se sont fait voler, déjà, les étages doctoraux — et une couronne d'établissements paupérisés spécialisés dans l'enseignement en batterie.

Comme nous l'avons montré dans notre analyse budgétaire publiée précédemment, les conditions matérielles concédées à l'enseignement et la recherche nous importent [2]. Pour autant, il est un enjeu plus important encore pour lequel nous devons collectivement concevoir une stratégie: reconquérir l'Université et la reconstruire à la hauteur à laquelle nous l'élevons, reprendre le contrôle de nos métiers, nous débarrasser de toutes les couches de bureaucratie accumulées et mettre fin à la médiocratie qui prétend au « pilotage » de l'Université [3]. Puisque ce pouvoir s'en prend directement aux libertés académiques, c'est l'exercice même des libertés académiques qui devient résistance.

La victoire revient à celui qui tient le dernier quart d'heure.

[1] Nous l'avons appris à notre corps défendant, nous qui, soutenant le changement promis par M. Hollande, avons vu le groupe des résistants de la 25e heure, accompagnateurs zélés de l'achèvement de l'Université déjà mal en point, accaparer l'ensemble des positions de pouvoir de l'ESR pour poursuivre leurs menées.
[2] La sanctuarisation du Crédit d'impôt recherche a été reconduite pour une année. On trouvera le rapport sénatorial censuré sur cette niche fiscale ici:
http://www.groupejeanpierrevernant.info/Rapport_CIR.pdf
[3] Fait d'actualité, l'association Anticor a porté plainte au parquet de Bobigny concernant les faits rapportés dans le rapport suivant, qui met en cause le président de la CPU:
http://www.groupejeanpierrevernant.info/IGAENR_IUT_P13.pdf

24h avant 1984

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« Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »
Montesquieu in L'Esprit des Lois.

« »

Alors que la France traverse une crise économique et sociale sans précédent depuis 1929, un pouvoir omniscient s’acharne à écorner les principes qui fondent le cœur de notre pacte républicain. Rien ne peut justifier un recul des libertés publiques dans une démocratie moderne, pas même une situation de crise comme celle que nous traversons. Pour nous, au contraire, l’exercice des libertés collectives constitue une protection pour les plus fragiles et une condition d’émancipation pour chaque individu.

La France ne souffre pas seulement d’injustice sociale, elle subit aussi un terrible recul des libertés, instaurant peu à peu une société corsetée. Sur ce sujet, il est difficile d’obtenir un débat public qui échappe aux caricatures et aux provocations. Manuel Valls lui-même, s’est souvent placé sur le terrain des libertés pour disqualifier ses opposants ou stigmatiser les populations les plus précaires. Défendre les libertés publiques serait, pour lui, nécessairement synonyme de laxisme, de désintérêt, voire d’incompréhension, pour les exigences de sécurité de nos concitoyens. Le rapport qu’entretient le pouvoir avec cette question n’est pas seulement une forme de populisme pénal qui instrumentaliserait momentanément l’émotion des victimes pour affaiblir les institutions. Il ne s’agit pas seulement de mots et de postures.

Au-delà des formules publiques dénigrant les associations de défense des Droits de l’homme, les travailleurs sociaux ou les magistrats ; derrière les  récits d’interpellations musclées, d’intimidations ou de censure régulièrement relatées dans les rubriques des faits divers, se cache en réalité l’autre face de l’action présidentielle, l’autre visage de la « France d’après »: généralisation des mesures d’exception, multiplication des dispositifs de surveillance et de contrôle, en dehors de toute précaution pour le respect des libertés et de la dignité humaine.
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Si cette entreprise de déconstruction des libertés publiques nécessite d’être décryptée, elle ne s’est pas faite pour autant sans susciter de sursauts républicains. À chaque nouvelle remise en cause de droits individuels ou collectifs, un nombre croissant de citoyens, de professionnels, d’intellectuels, de militants, se sont mobilisés pour interpeller l’opinion publique. Mais, sourd aux critiques, insensible aux appels à la raison ou à l’humanisme, le pouvoir poursuit son action avec entêtement. Reprenant à son compte la relation tumultueuse qu’entretiennent les forces conservatrices avec l’ordre public et le respect des libertés, le gouvernement s’appuie sur un double mensonge : il faudrait nécessairement choisir entre notre sécurité ou nos libertés ; il faudrait soumettre toute liberté au dogme de l’efficacité. De la remise en cause des libertés publiques au nom de la sécurité…

L’utilisation des impératifs de sécurité pour restreindre le champ des libertés est une constante de l’histoire politique française. Sans remonter aux moments les plus sombres de la Vème République, il faut se rappeler du recours discutable à l’état d’urgence lors des événements de décembre 2005 dans les quartiers populaires.

Dans cette logique, les nouvelles législations engagées par Manuel Valls s’adossent à une vision profondément manichéenne du rapport entre liberté et sécurité. L’augmentation des risques, de la violence ou de la menace terroriste justifie selon lui la mise en place de régimes d’exception et la relégation au second plan des libertés de circulation, d’expression ou d’association. Ainsi, lors de l’examen des nombreux projets de loi anti-terroristes déposés depuis les attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015, Manuel Valls s’est à chaque fois appuyé sur la peur du terrorisme ressentie par la population pour s’affranchir des réserves posées par la CNIL.

Une utilisation identique des faits de violence, des menaces et de la peur a été à l’œuvre aux États-Unis. Au nom de la guerre totale contre le terrorisme, le Patriot Act américain encadra et rogna considérablement de nombreuses libertés publiques. En France, le même dévoiement est à l’œuvre. De fait, la sécurité à laquelle chacun a droit, est desservie par cette politique qui prétend pourtant l’assurer. Elle ne fait pas reculer les violences dont, il faut le rappeler, les plus fragiles sont les premières victimes.

La façon dont Manuel Valls considère les libertés publiques comme des entraves à l’action et à l’efficacité de l’État, est particulièrement dangereuse car elle nourrit les populismes, et précipite effectivement notre pays dans une « inquiétante rupture ».

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Ces phrases sont tirées  d'un document du Parti Socialiste: "la France en libertés surveillées".  Nous y avons remplacé "Nicolas Sarkozy" par "Manuel Valls" et "11 septembre 2001" par "7, 8 et 9 janvier 2015". Ironie de l'histoire, le Patriot Act vient d'être amendé et transformé en Freedom Act.

Pour la première fois, l'ensemble de la population va, en toute légalité et avec systématisme, être placé sur écoute.

Défendons les libertés académiques mises à mal par les restructurations néo-managériales incessantes.

Défendons les libertés publiques attaquées par une succession ininterrompue de textes de loi.

Signons pour le retrait du projet de loi de surveillance généralisée.