Comment la loi de programmation (LPpR) entend financer la recherche par la baisse de nos cotisations retraite, et autres questions.

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La loi de programmation de la recherche repose sur un dispositif ternaire:

  • L’article 18 de la loi sur les retraites prévoit la baisse des cotisations retraite payées par l’Etat comme part socialisée de nos salaires.
  • Cet argent, prélevé de nos salaires socialisés, est reversé pour partie en “revalorisation” indemnitaire, pour partie en budget de l’Agence Nationale pour la Recherche (ANR), et pour partie en Crédit d’Impôt Recherche (CIR).
  • La narration faisant de ce financement de la recherche par nos cotisations retraite un investissement “historique” permet d’acheter l’adhésion nécessaire à faire passer l’accroissement de la précarité par le système de chaires de professeur junior (Tenure Track) et de CDI de mission, qui procèdent d’une dérégulation des statuts et des modalités de recrutement.
Nous détaillons ici ce dispositif, sous forme de questions et de réponses.

Si la démonstration pourra ici sembler technique, il suffirait à des journalistes de poser trois questions au ministère pour l’établir:

  • quelle est l’évolution programmée du budget du ministère sur les dix prochaines années, compte tenu des deux lois, sur les retraites et sur la recherche ?
  • quelle est l’évolution programmée de la masse salariale d’une université sur les dix prochaines années, compte tenu des deux lois, sur les retraites et sur la recherche ?
  • comment évoluera le crédit d’impôt recherche dans les dix prochaines années, du fait de la loi de programmation sur la recherche ?

I Quel est le calendrier prévisionnel de la LPpR ?

Dès la mi-janvier, indépendamment de l’alerte épidémique donnée par la Chine, nous avons su que le calendrier parlementaire ne permettrait pas l’examen de la LPpR avant l’automne. Le projet de loi a été présenté en Conseil des Ministres le 22 juillet 2020. Le Gouvernement a engagé la procédure accélérée ce qui signifie qu’il n’y aura qu’une lecture par chambre du Parlement. Le projet de loi devrait être examiné à l’Assemblée Nationale la semaine du 14 septembre, en commission, et la semaine du 21 septembre, en séance publique.

Ce créneau a été choisi afin que l’examen de la loi par le Parlement ait lieu avant le vote du budget 2021. En effet, ce budget fera apparaître explicitement l’absence de création de postes et d'augmentation du budget de l’Université et de la recherche pour la troisième année du quinquennat. Le mécanisme de vases communicants entre cotisations retraite et “revalorisations” sera alors apparent sans avoir à faire d’effort de compréhension. Rappelons qu’en 2019 et 2020, le nombre de postes pérennes mis au concours a fortement baissé et le budget n’a été augmenté que du montant de l’inflation (-150 millions € par an, en moyenne sur trois ans), ne permettant pas la compensation du Glissement Vieillesse Technicité.

L’encombrement du calendrier parlementaire ne laisse guère de possibilité d’examen au Sénat avant janvier 2021. Le faible poids politique de Frédérique Vidal permet de supposer que l’examen de la loi donnera lieu à un travail d’amendement et de lobbying conséquent. D’après nos informations, le cabinet ministériel anticipe un possible redécoupage de la loi entre l’examen par les deux chambres, en séparant le volet “Ressources Humaines” du volet budgétaire. En effet, le Conseil d’Etat a prévenu qu’il pouvait s’avérer anticonstitutionnel de reporter les compensations de rémunération liées à la loi sur les retraites à une loi de programmation.

II Quels sont les documents du projet de loi de programmation de la recherche 2021-2030  ?

Le projet de loi:
http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3234_projet-loi.pdf

L'étude d'impact de la loi:
http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3234_etude-impact.pdf

L'avis du Conseil économique, social et environnemental:
"Peut-on soigner un système avec les outils qui l'ont rendu malade ?"
https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2020/2020_13_programmation_pluriannuelle_recherche.pdf

L'avis du Conseil d'Etat:
http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3234_avis-conseil-etat.pdf

Les mesures indemnitaires:
./LPPR_Mesures_indemnitaires.pdf

III Quel est le budget exceptionnel alloué à la recherche et à l’Université suite à la crise du coronavirus ?

Le plan de relance européen a conduit à baisser le budget européen de la recherche (HorizonEU, planifié pour 7 ans) de 94,4 milliards € à 81 milliards €. Le rapport Lamy de 2017 recommandait une somme supérieure à 120 milliards €.

Dans le projet de loi de finance rectificative de 2020, le Sénat a voté par amendement le transfert de 150 millions € à la recherche (programme 172). L’amendement a été supprimé en commission mixte paritaire. Il n’y a donc aucun budget exceptionnel alloué, ni à la recherche, ni à l’Université.

IV Comment les crédits de la loi de programmation de la recherche seront-ils prélevés sur nos cotisations de retraite ?

L’essentiel des sommes que la loi de programmation de la recherche prévoit de redistribuer proviennent de la baisse programmée de la part patronale dans les cotisations de retraite. Les crédits de recherche et la revalorisation des salaires promis proviennent donc de prélèvement dans notre salaire socialisé, sans augmentation budgétaire réelle.

Le budget brut salarial pour l’Université et la recherche s’élève à 10,38 milliards € par an. La baisse de cotisation patronale de l’État de 74,3% à 16,9% sur 15 ans permettra à terme de redistribuer les 6 milliards € par an prélevés sur notre salaire socialisé — c’est le nom qu’il convient d’utiliser pour les “charges patronales”. Pour la période 2021-2030 couverte par la LPpR, l’article 18 conduira en cumulé à 21,8 milliards € de prélèvement dans nos cotisations de retraite [1].

V Comment les crédits de la loi de programmation de la recherche seront-ils ventilés ?

Les annonces budgétaires qui n'ont pas été tenues en temps normal, de l’aveu même de Frédérique Vidal (“Il y a de la défiance car de nombreuses promesses n’ont pas été tenues par le passé.”) ont des chances infimes d'être tenues pendant une crise économique. De fait, la crise de 2007-2008 nous a montré que les budgets des services publics servaient de variable d'ajustement pour sauvegarder la “confiance des marchés”.

La LPpR porte essentiellement sur le programme 172 (Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires) auquel est rattaché le Crédit d’Impôt Recherche. La recherche spatiale (programme 193), passée sous la tutelle de Bercy pour accélérer les programmes de privatisation, est également mentionnée mais les chiffres ont été “retraités” (sic) pour escamoter le remboursement de la dette française à l’Agence spatiale européenne. Enfin, “l’incidence” (sic) sur le budget de l’Université (programme 150) est mentionnée, qui couvrira les “revalorisations indemnitaires” et les chaires de professeur junior (tenure track): 150 millions € par an sur les trois dernières années.

Selon le communiqué de presse [2], la loi était supposée augmenter les crédits du programme 172 par paliers de 400 millions € pendant le fin du quinquennat, puis plus vite pour atteindre 5 milliards € de plus par an en 2030. Le projet de loi propose une augmentation plus modeste, de 320 millions € par an, sauf… en 2021, où l’augmentation n’est que de 224 millions €. Or, le seul budget qui engage l’exécutif est justement celui de 2021. Par la suite, rien n’oblige le parlement à suivre les recommandations du plan de programmation lors des votes annuels des budgets. Du reste, le mot “pluriannuel” a disparu du titre de la loi. L’augmentation de 224 millions € sur le programme 172 en 2021 doit être comparée à celle réalisée pendant les premières années du quinquennat: +200 millions € par an, ce qui correspond à la croissance moyenne des dépenses fiscales en Crédit d’Impôts Recherche sur les cinq dernières années.

Résumons nous. Sur dix ans, une fois l’inflation soustraite, l’effort consenti par Bercy dans le programme 172 (CIR, ANR, grands organismes) est de 10,5 milliards € (euros de 2020), à comparer au 17,63 milliards € (euros de 2020) prélevés sur nos cotisations de retraite. Une moitié, environ de ce transfert budgétaire se fera au profit l’ANR [3], soit un petit tiers des économies faites sur le salaire socialisé. Une large partie du reste devrait donc être destinée à augmenter l’aide directe aux entreprises par la niche fiscale du Crédit d’Impôt Recherche.

VI Combien de postes statutaires sont planifiés dans la LPpR ?

Les annonces budgétaires qui n'ont pas été tenues en temps normal, de l’aveu même de Frédérique Vidal (“Il y a de la défiance car de nombreuses promesses n’ont pas été tenues par le passé.”) ont des chances infimes d'être tenues pendant une crise économique. De fait, la crise de 2007-2008 nous a montré que les budgets des services publics servaient de variable d'ajustement pour sauvegarder la “confiance des marchés”.

Aucun article du projet de loi n’est consacré à l’emploi statutaire. L’augmentation des moyens de l’ANR, la création (article 3) d’un système de chaires de professeur junior (tenure track) et la création (article 6) des CDI de mission participent d’un développement de l’emploi contractuel et d’un renforcement du contrôle bureaucratique de la recherche.

VII Quel sera le montant des revalorisations compensant partiellement la baisse des cotisations retraite ?

Que fera l’Etat de ce prélèvement sur le salaire socialisé, qui va croître pendant 15 ans ? En 2021, 77,7 millions € seront consacrés à aligner la cotisation salariale et à compenser la disparition de la retraite additionnelle de la fonction publique. La “revalorisation indemnitaire” sous forme de primes n’est donc rien d’autre qu’une compensation de baisses des revenus liés aux systèmes de solidarité nationale. En fait de revalorisation, il s’agit d’un alignement graduel de la partition entre salaire net et salaire socialisé sur le régime du privé, le salaire total baissant. De même, les mesures de “renforcement de l’attractivité” des postes précaires ne sont rien d’autre qu’un transfert entre salaire socialisé et salaire brut, rapprochant la partition de celle en usage dans les pays anglo-saxons.

Le choix de “revalorisations” indemnitaires (primes) plutôt que de “revalorisations” salariales (augmentation du point d’indice) permet à l’Etat de ne pas payer de salaire socialisé (de “charges”) et d’accroître l’adhésion de la technostructure managériale. Le montant des enveloppes budgétaires, en million € (m€), pour chaque filière en 2021 est le suivant:

  • EC: 45 m€ pour 48 793 bénéficiaires soit 77€ en moyenne/mois
  • Chercheurs: 17,5 m€ pour 17 188 bénéficiaires soit 85€ en moyenne/mois
  • ESAS: 3,6 m€ pour 12 755 bénéficiaires soit 24€ en moyenne/mois
  • BIB: 0,3 m€ pour 4 237 bénéficiaires soit 6€25 en moyenne/mois
  • ITRF: 1,8 m€ pour 39 129 bénéficiaires soit 3€80 en moyenne/mois
  • ITA: 7,5 m€ pour 24 391 bénéficiaires soit 26€ en moyenne/mois
  • Contractuels: 7,2 m€ (nombre de bénéficiaire non précisé; probablement 19 000).
La rémunération des 128 000 vacataires ne semble pas faire l’objet d’une “revalorisation” dans le cadre de la LPpR.

VIII Qui soutient ce train de réformes de l’Université et de la recherche ?

Alors que la communauté académique s’alarmait du contenu des rapports préparatoires à la “grande loi darwinienne” pour la recherche et l’Université, les initiateurs et rapporteurs de la LPpR (Gilles Bloch, Jean Chambaz, Christine Clerici, Michel Deneken, Alain Fuchs, Philippe Mauguin, Antoine Petit, Cédric Villani et Manuel Tunon de Lara) ont fait paraître une pétition dans le Monde daté du 20 février 2020 :
LA COMMUNAUTE SCIENTIFIQUE a lancé cette pétition adressée à Emmanuel Macron.

Se sont associés à leur texte une centaine de chercheurs retraités qui ont tous bénéficié au cours de leur carrière de conditions (postes pérennes, liberté de recherche et moyens récurrents) dont les réformes à venir vont achever de priver les jeunes générations de chercheurs [4]. Les plus connus d’entre eux avaient déjà signé une tribune à la veille du premier tour de la présidentielle pour faire connaître leur attachement au mille-feuille d’institutions bureaucratiques créées depuis quinze ans (ANR, HCERES, etc).

Est-ce dû à leurs convictions d’un autre temps les conduisant à prétendre parler au nom de “la communauté scientifique” — c’est le nom d’administration de la pétition — communauté à laquelle ils n’appartiennent de facto plus ? Leur pétition de soutien à la LPpR a rassemblé deux cents signatures en quatre jours.

IX Qui est à l’origine de ce train de réformes de l’Université et de la recherche ?

La majorité des mesures de précarisation et de dérégulation qui accompagneront la loi de programmation budgétaire ont été conçues par la Coordination des Universités de Recherche Intensive Françaises (CURIF), association de présidents et d’anciens présidents d’universités qui travaillent depuis quinze ans à la suppression progressive des libertés académiques et à la dépossession des universitaires. La CURIF comprend dix-sept membres, dont huit, indiqués en gras, véritablement actifs : Philippe Augé, David Alis, Jean-Francois Balaudé, Yvon Berland, Jean-Christophe Camart, Jean Chambaz, Christine Clerici, Frédéric Dardel [5], Michel Deneken, Barthélémy Jobert, Frédéric Fleury, Alain Fuchs, Corinne Mascala, Sylvie Retailleau, Manuel Tunon De Lara, Fabrice Vallée, Frédérique Vidal, Jean-Pierre Vinel. La CURIF a déclaré son allégeance à la candidature de M. Macron lors d’une réunion avec Jean Pisani-Ferry, le 28 avril 2017. Le programme de la CURIF est simple : différencier les statuts et les financements des établissements, supprimer le CNRS, et accorder les pleins pouvoirs aux présidents d’université. Les apports de la CURIF au programme présidentiel de M. Macron figurent dans les deux documents suivants :
http://groupejeanpierrevernant.info/CURIF_EM.pdf
http://groupejeanpierrevernant.info/positions_CURIF_avril_2017.pdf
La place des courtisans de la techno-bureaucratie universitaire dans la structure en cercles concentriques d’En Marche est discutée dans ce billet :
./elections#LuttePlaces3

La ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Amélie de Montchalin revendique avoir obtenu la LPpR grâce à sa proximité avec Édouard Philippe.

S’il importe de nommer les managers à l’origine de la loi, il ne faut pas ignorer ce qu’elle doit aux normes de “bonnes pratiques” gestionnaires rappelées par l’Inspection Générale des Finances dans son rapport récent sur le pilotage et la maîtrise de la masse salariale des établissements
https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid149561/le-pilotage-et-la-maitrise-de-la-masse-salariale-des-universites.html

X Le “Pacte productif” de Bercy empiète-t-il sur le pilotage et le budget de la recherche ?

Frédérique Vidal n’a emporté aucun arbitrage budgétaire depuis le début du quinquennat. Ni Bruno Le Maire ni les hauts fonctionnaires du ministère de l'Economie et des Finances n’ont été convaincus de la nécessité de financer l’Université et la recherche. Mieux, ils se chargent eux-mêmes du volet “innovation” du Pacte productif :
https://www.economie.gouv.fr/pacte-productif

Ce financement par l’impôt du secteur privé est pris sur la même enveloppe globale que le budget de la recherche publique. Il est hélas probable qu’un programme pour “l’innovation” serve davantage les intérêts politiques de M. Macron que le financement de la recherche et de l’Université publiques, pourtant vitales pour répondre aux trois crises, climatique, démocratique et économique, qui minent nos sociétés.

Mais l’emprise de Bercy sur la politique de recherche ne s’arrête pas à la ponction de nos cotisations retraite pour financer des programmes d’“innovation” et la niche fiscale du Crédit d’Impôt Recherche (CIR) plutôt que de financer la recherche. Comme l’a précisé Bruno Le Maire, “la loi de programmation de la recherche devrait être l’occasion de réfléchir à une augmentation des moyens consacrés à des programmes de recherche publique en contrepartie de leur orientation vers un développement industriel précis.” [6] Tout est dit.

La LPpR est le volet de la réforme de la recherche porté par la CURIF, organisant la dérégulation des statuts et le contournement du recrutement par les pairs, en renforçant le pouvoir démesuré de la technostructure managériale des établissements. Le “pacte productif” apparaît comme le volet de cette même réforme portée par Bercy, instaurant des outils de pilotage qui lui permettent de contrôler cette même technostructure.

XI Quelle est le montant des crédits exceptionnels annoncés par Emmanuel Macron à l’Institut Pasteur ?

Le 19 mars, Emmanuel Macron a de nouveau annoncé, lors d’une visite à l’Institut Pasteur, qu’il y aurait probablement une loi pluriannuelle pour la recherche. Cette annonce était avant tout une opération de communication dont l'enjeu était de couper court aux articles de presse sur l’absence de financement récurrent des études sur les virus à ARN en laissant entendre aux journalistes un “déblocage immédiat” de fonds pour la recherche. Il n’y a évidemment pas le moindre “chèque” signé par Emmanuel Macron pour la recherche, pas le moindre “crédit exceptionnel”.

Ce qui a été annoncé d’un tweet à la rhétorique césariste, c’est le montant négocié avec Bercy pour la LPpR: “J'ai décidé d’augmenter de 5 milliards d'euros notre effort de recherche, effort inédit depuis la période de l’après-guerre.”

[1] Le calcul affiné, séparant primes et salaires, conduit à -4,98 milliards € au lieu de -6 milliards € et à -17,63 milliards € pour la période 2021-2030, et non -21,8 milliards €. Nous avons gardé le calcul approximatif pour permettre à chacun de vérifier le calcul.
Sur cette somme, Mme Vidal a annoncé que la restitution de 118 millions € par an lors de ses vœux:
https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid148778/ceremonie-des-voeux-a-la-communaute-de-l-enseignement-superieur-de-la-recherche-et-de-l-innovation.html
92 millions € seront destinés à aligner la cotisation salariale et compenser la disparition de la retraite additionnelle de la fonction publique. 26 millions € seront consacrés à faire passer le salaire d'entrée moyen de 1,8 à 2 SMIC. Au delà de 2021, l'absence de visibilité budgétaire empêche toute estimation plus réaliste.

[3]’inefficacité du pilotage bureaucratique par l’Agence Nationale pour la Recherche est mise involontairement en lumière dans ce rapport sénatorial :
http://www.senat.fr/rap/r16-684/r16-684.html

[4] La sociologie de ce groupe, composé à 93% d’hommes, sans chercheur en SHS, et la hiérarchie des statuts qu’ils affichent, témoignent du fait que le temps où ils ont été pleinement productifs (la moyenne d’âge est de 72 ans et demi) ne saurait être considéré comme un âge d’or de la recherche.

[5] Après s’être vu refuser le poste de président-directeur général du CNRS, Frédéric Dardel a été nommé conseiller spécial de Frédérique Vidal en septembre 2019, en charge de la LPpR. Il a été depuis touché par le scandale du charnier de Paris-Descartes et en particulier par la vente, sous sa responsabilité, de membres et d’organes de corps donnés à la science. 70 plaintes pour atteinte au respect des morts étant en cours d'instruction, il a été limogé de ses fonctions de conseiller:
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041987394&dateTexte=&categorieLien=id

[6] Le pacte productif. Discours de Bruno Le Maire, ministre de l'Économie et des Finances à Bercy, le mardi 15 octobre 2019.
https://www.economie.gouv.fr/pacte-productif/discours-de-bruno-le-maire-ministre-de-leconomie-et-des-finances

Désenfumage

Téléchargez un diaporama pédagogique en ODP de la réforme des retraites, librement utilisable pour vos présentations:
www.groupejeanpierrevernant.edu.eu.org/PresentationRetraites.odp

Téléchargez un diaporama pédagogique en PPT de la réforme des retraites, librement utilisable pour vos présentations:
www.groupejeanpierrevernant.edu.eu.org/PresentationRetraites.pptx

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Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’annonce ministérielle d’une revalorisation des salaires des jeunes chercheurs est directement liée à la réforme des retraites. Elle est destinée à faire écran aux réformes structurelles de la recherche et de l’Université dont le volet financier, la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), est annoncée pour la mi-mars (transmission au Conseil économique et social puis présentation fin mars en conseil des ministres), pour adoption en octobre, du moins si le calendrier parlementaire saturé le permet. Le reste des dispositifs prévus dans les rapports des “groupes de travail” figure dans la Loi sur la transformation de la fonction publique du 6 août 2019, dans la loi de Croissance et transformation des entreprises (PACTE) ou passera vraisemblablement par ordonnance, par cavalier législatif ou hors de toute loi, par voie réglementaire [1].

Pour comprendre le lien entre réforme des retraites et LPPR, il convient d’en passer par l’arithmétique.

Déroulons d’abord la mécanique de la réforme des retraites jusqu’à son cœur : l’article 18. Il prévoit que l’Etat aligne progressivement, sur 15 ans, son taux de cotisation patronale de 74,3% aujourd’hui sur celui du privé dans le nouveau système : 16,9%. Cette mesure contribuera évidemment à créer une crise de financement des retraites, pourtant aujourd’hui à l’équilibre. Si globalement, les recettes vont décroître de 68 milliards € sur un total de 330 milliards € par an, la chute sera de 36 milliards € sur un total de 55 milliards € pour la fonction publique d’Etat [2]. En 2037, l’Etat sera le principal contributeur à la baisse générale des recettes de cotisation pour un montant de 42 Milliards € hors inflation. L’objectif est évidemment de reprendre ce déficit créé de toute pièce sur le montant des pensions [3] [4].

Que fera l’Etat de ce prélèvement sur le salaire socialisé, qui va croître pendant 15 ans ? En 2021, il en reversera une partie aux budgets des universités et des grands organismes de recherche. Le montant annoncé par Mme Vidal lors de ses vœux, 120 millions €, est comparable aux annonces faites chaque année, qui couvrent généralement l’inflation (143 millions € pour 2019) mais pas le glissement vieillesse technicité. Pour partie, ce montant sera cependant consacré à des primes indemnitaires, permettant d’accroître l’adhésion de la technostructure managériale. 92 millions € seront utilisés pour aligner la cotisation salariale et compenser la disparition de la retraite additionnelle de la fonction publique. Cependant, le Conseil d’Etat a considéré dans son avis que reporter les compensations de rémunération à une loi de programmation est anticonstitutionnel [5]. Par ailleurs, le recrutement pour des postes statutaires (CR et MCF, de plus en plus clairement mis en extinction) se fera à un salaire de 2 SMIC [6].

En présentant de manière favorable ce système de vases communicants entre budget de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et creusement annuel d’un trou de 230 millions € dans le financement des retraites, il s’agit de fabriquer le consentement à la réforme réelle. Ainsi, le journal Les Echos titrait le mercredi 22 janvier : « Frédérique Vidal annonce le doublement du salaire des jeunes chercheurs ». Les éléments de langage du ministère ont en effet sous-estimé le salaire d’entrée actuel des chargés de recherche et des maîtres de conférences, qui se situe entre le 2ème (1,6 SMIC) et le 3ème échelon (1,8 SMIC), en omettant délibérément la reconstitution de carrière. Passer le salaire d’entrée de 1,7 SMIC à 2 SMIC, beau “doublement” en vérité. Cela constituera « un gain de 2600 à 2800€ sur un an » répète du reste Mme Vidal, soit +0,2 SMIC. Ce qu’il fallait démontrer [7].

On se souvient que la « loi de programmation pour la recherche » était la revendication centrale portée il y a des années lors de grandes réunions des directeurs d’unité annonçant leur démission. En en reprenant le nom, la loi à venir se dotait d’une façade consensuelle : l’inscription dans la loi de l’objectif de 3% du PIB consacré à la recherche. L’objectif, non contraignant, est ramené aujourd’hui à une montée à compter de la fin du quinquennat vers 2,6% du PIB dans 10 ans.

Que s’agit-il de faire accepter par ces jeux de bonneteau budgétaires ? Le cœur de la réforme est l’introduction du système de tenure track par des chaires de professeur junior : ces contrats de 3 à 6 ans accompagnés d’un financement de recherche seront intercalés entre les post-docs et le recrutement statutaire, accroissant de la même durée la période de précarité des docteurs. Au passage, les modalités de recrutement et de titularisation seront dérégulées et les conditions statutaires dégradées. Il s’agit bel et bien d’initier la mise en extinction des postes statutaires, déjà raréfiés, pour les jeunes chercheurs. Pour des raisons politiques évidentes, la demande syndicale de fusion des corps des maîtres de conférence et des professeurs n’a pas été actée.

Hormis les vases communicants opérés par l’article 18 du projet de retraites, il importe de comprendre le caractère attendu de ces annonces, théorisées depuis quinze ans par Aghion et Cohen [8]. Leur rapport de 2004, suivi à la lettre, prévoyait quatre volets de dérégulation et de mise en concurrence :

  • l’autonomie administrative des universités (dérégulation des statuts, direction par un board of trustees, etc) : actée ;
  • l’autonomie pédagogique (mise en concurrence croisée des étudiants et des formations, dérégulation des diplômes) : amorcée avec Parcoursup ;
  • l’autonomie de recrutement, d’évaluation et de gestion des personnels (dérégulation des statuts, contractualisation, liquidation des libertés académiques et du principe de collégialité entre pairs) : nous y sommes ;
  • l’autonomie financière (dérégulation des frais d’inscription) : travaillé dans le débat public, par l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants étrangers et par la multiplication des DU.
Que les réformes structurelles menées depuis quinze ans conduisent à l’effet inverse de celui qu’elles prétendaient obtenir ne les arrêtera pas. L’obsession néolibérale consistant à utiliser les moyens de l’Etat pour construire un marché international des universitaires, des chercheurs, des établissements et des formations est telle, que la sphère managériale ne perçoit plus la réalité des dégradations qu’elle engendre. Elle persiste, dans une période où le nombre de candidats de qualité par poste explose, à répéter la fiction d’un « défaut d’attractivité » supposément constitué par la fraction limitée de candidats étrangers [9]. Cette séparation de la sphère décisionnaire avec l’expérience concrète des conditions d’exercice de la recherche et de l’enseignement est dramatique : la reprise en main bureaucratique est en train de sacrifier une génération de jeunes chercheurs ainsi que le niveau d’exigence dans la création et la transmission des savoirs.

[1] Ces réformes systématiseront ce que certains établissements comme Sciences Po, l’ENS Paris ou Strasbourg font déjà en partie: tenure-tracks, modulation de service d’enseignement, précarité, prime à la performance, appels à projets dissipant en bureaucratie crédits et temps, développement de l’endettement bancaire et rupture conventionnelle.

[2] Cette chute se fera au rythme de 2 milliards € par an d’économie jusqu’en 2036, engendrant un défaut de recette cumulé de 240 Milliards € sur 15 ans pour la fonction publique d’Etat.

[3] L’élévation de l’âge de départ à la retraite à taux complet est une manière d’obtenir cette baisse des pensions. Le décrochage de la valeur du point par rapport à l’inflation en est une autre (15% de baisse depuis 10 ans).

Intervention pédagogique de Michael Zemmour sur la règle d'or
https://www.youtube.com/watch?v=iJKVd609iGU&feature=emb_logo

Notre système de retraites ne connaît pas la crise.
https://www.alternatives-economiques.fr/systeme-de-retraites-ne-connait-crise/00091163

https://www.alternatives-economiques.fr/guillaume-duval/reforme-risque-de-desequilibrer-fortement-financement-retraites/00091464

Garantir la valeur du point ne garantit rien.
https://www.alternatives-economiques.fr/michel-husson/garantir-point-ne-garantit-rien/00091288

La valeur du point ne pourra pas baisser… Mais le niveau de votre pension, si.
https://blogs.alternatives-economiques.fr/zemmour/2019/11/30/la-valeur-du-point-ne-pourra-pas-baisser-mais-le-niveau-de-votre-pension-si

[4] Le taux de cotisation patronal était un frein aux passages entre fonction publique d’Etat et contrats de droit privé, l’employeur devant par le passé compenser le différentiel lors du passage de la fonction publique d’Etat vers la fonction publique territoriale ou la fonction publique hospitalière. L’objectif est donc également de généraliser l’indifférenciation entre les sphères publique et privée et le recours à la contractualisation en lieu et place du statut de fonctionnaire.

[5] Avis du Conseil d’Etat.
https://www.conseil-etat.fr/ressources/avis-aux-pouvoirs-publics/derniers-avis-publies/avis-sur-un-projet-de-loi-organique-et-un-projet-de-loi-instituant-un-systeme-universel-de-retraite

"29. En revanche, le Conseil d’Etat écarte les dispositions qui renvoient à une loi de programmation, dont le Gouvernement entend soumettre un projet au Parlement dans les prochains mois, la définition de mécanismes permettant de garantir aux personnels enseignants et chercheurs ayant la qualité de fonctionnaire une revalorisation de leur rémunération afin de leur assurer un niveau de pension équivalent à celui de fonctionnaires appartenant à des corps comparables. Sauf à être regardées, par leur imprécision, comme dépourvues de toute valeur normative, ces dispositions constituent une injonction au Gouvernement de déposer un projet de loi et sont ainsi contraires à la Constitution (décision n° 89-269 DC du 22 janvier 1990, cons. 38)."

[6] Selon l’arbitrage, le recrutement se fera à l’échelon 3 par une addition de 73 points d’indice ou à l’échelon 4.

[7] Les vœux de Mme Vidal comportaient ces éléments rendant impossible la compréhension à qui ignore la reconstitution de carrière : “Dès 2021, tout chargé de recherche et tout maître de conférence sera recruté à au moins 2 SMIC, contre 1,3 à 1,4 SMIC aujourd’hui. Cela représente, en moyenne, pour les nouveaux maîtres de conférences qui seront recrutés l’année prochaine, un gain de 2 600 à 2 800€ sur un an.” Tweet du 21 janvier.

[9] Trois des rapports sur lesquels sont construites les réformes à venir:

Note Idex
./NoteIdex.pdf

Note Terra Nova
./NoteTerraNova.pdf

Note Siris
./NoteSiris.pdf

Rapport de l'Inspection Générale des Finances (IGF) sur le pilotage et la maîtrise de la masse salariale des universités
https://www.education.gouv.fr/cid149541/le-pilotage-et-la-maitrise-de-la-masse-salariale-des-universites.html