Après le désaveu des ComUE franciliennes
Les résultats de l’évaluation des Idex de la première vague ont récemment été rendus publics. Ils constituent des preuves irréfutables, visibles par tous, de l’échec de la partition du réseau universitaire francilien en ComUE, et de l’échec de la forme fédérale d’organisation universitaire. Nous rappelons ici l’urgence à ce que l’organisation territoriale francilienne soit enfin pensée en fonction des besoins de l’enseignement et de la recherche, au plus près du terrain, et la nécessité de mettre en place un réseau confédéral d’universités à taille humaine, adapté du modèle britannique aux spécificités françaises.
Le Premier ministre a décidé de ne confirmer aucun des Idex franciliens, en s’appuyant sur les conclusions d’un « jury d’experts » [1] dont le mode de constitution et la démission fracassante de ses deux membres les plus connus (M. Gillet et M. Aghion) [2], suffisent à montrer qu’il n’a rien d’indépendant [3]. Cette décision vient sanctionner le découpage aberrant du maillage universitaire francilien en plusieurs ComUE, destinées dans la grande couronne à assurer sans moyens l’enseignement de masse et sur son axe central, à constituer, selon la nov’lang en vigueur, des « universités de recherche intégrées, visibles au plan international et reconnues comme telles ». Rappelons que l’Île-de-France est la plus grande région universitaire de France et d’Europe. Sur 1,6 % du territoire national, elle concentre plus d’un quart des étudiants, un tiers des universitaires et deux cinquièmes des laboratoires de recherche.
Ce découpage a été, pour l’essentiel, imposé par un petit groupe clanique. Ainsi, le regroupement Sorbonne Paris Cité est-il né de la volonté d’Axel Kahn et Jean-Loup Salzmann de procéder à une fusion de Paris 5, Paris 7 et Paris 13 pour constituer la plus grosse faculté de santé de France, plus grosse en particulier que leurs concurrents de Paris 6 [4]. A ce propos, Axel Kahn confia candidement au Monde : « Quand les médecins s’organisent, ils sont imbattables. ». Le fait que ce regroupement favorable au secteur santé soit destructeur pour les sciences exactes et les sciences humaines, qui étaient attachées pour les unes aux relations avec Paris 6 et l’ENS et pour les autres, à Paris 1, Paris 4, l’ENS et l’EHESS, n’a jamais été pris en compte. Du reste, chaque tentative de procéder à un autre découpage a été balayée autocratiquement par la direction de la DGESIP (Mme Bonnafous-Dizambourg et M. Carrière). Ainsi, Paris 1 a été successivement empêchée de rejoindre Paris 7, Paris 3 et Paris 2. Ainsi encore, Paris 2, qui souhaitait former un regroupement autour d’elle, a reçu l’ordre de rejoindre le regroupement dont elle s’était séparée.
En lieu et place de l’organisation territoriale harmonieuse, fondée sur la coopération, organisation souhaitée par la communauté universitaire, on a vu émerger, par la contrainte, une spécialisation des sous-territoires et une concurrence exacerbée pour capter les ressources. Saclay a été destinée aux sciences de la matière et à l’ingénierie, Paris Centre au secteur santé et, de manière secondaire, aux SHS. La grande couronne a été organisée en universités de proximité paupérisées destinées à la formation professionnelle de masse, l’exemple le plus frappant étant celui de la ComUE Paris-Est sous la tutelle de M. Bonnafous-Dizambourg.
Dans ces conditions, on comprend que la communauté universitaire, systématiquement écartée des décisions par la technostructure, ne se soit jamais approprié des projets pour l’essentiel nuisibles à la coopération territoriale. Les ComUE de Paris Centre ont par exemple détruit le tissu coopératif de laboratoires et de formations co-accréditées en sciences exactes, obtenant l'exact contraire de l'effet prétendument recherché : une mise en concurrence destructrice, une multiplication des masters, une remise en cause sans précédent des libertés académiques.
A Paris Saclay, se sont mis en place les principes industriels du cannibalisme : constituer un ensemble plus grand dont on prélève l'étage doctoral et les joyaux en matière de recherche, puis, dans un coup d'accordéon, reconstituer un noyau autour des grandes écoles et du CEA, entouré d'une université paupérisée, en charge de l'enseignement de masse. On a vu à Paris-Saclay un déchaînement de tous les lobbies conservateurs, le CEA, qui a disposé de relais directs au ministère et un groupe de patrons du CAC 40 [5], pour détruire toute possibilité de constituer un ensemble universitaire selon la norme internationale.
Si le jury Idex dénonce avant tout l’absence de “gouvernance commune” (i.e. de fusion), il sanctionne aussi le déficit d’adhésion des « acteurs » (sans doute s’agit-il dans leur esprit de spectacle, plus que d’enseignement et de recherche...) aux regroupements contre nature qui leur ont été imposés. Cette absence d’adhésion et d’enthousiasme est on ne peut plus réel, tant les dégâts sont perceptibles, après quelques années seulement. Le jury pense-t-il obtenir l’adhésion par le bâton, quand la carotte n’a pas fonctionné ? Comment peut-il feindre d’ignorer que la carotte était factice et que le bâton est inopérant, tant les sommes en jeu sont faibles comparées à la masse salariale ? Il faut donc en conclure que c’est le découpage imposé, la forme ComUE, et l’accumulation de villages Potemkine, de projets de façade vides de toute science qui a, logiquement, amené la sanction francilienne. Ce choix du jury validé par le Premier Ministre est l’aveu d’échec d’une politique.
La loi Fioraso a prévu trois formes de regroupements universitaires pour permettre l’organisation universitaire à l’échelle du territoire — en l’occurrence, l’Île-de-France. Mme Fioraso avait du reste engagé la parole de l’Etat devant la représentation nationale que chacune de ces trois formes serait acceptable par le jury Idex. En ne validant que les Idex reposant sur la fusion (la première des trois formes de regroupement), le jury Idex a clairement pointé l’échec de la forme fédérale (la ComUE). De fait, le bilan des ComUE est intégralement désastreux. Ces usines à gaz bureaucratiques, opaques, clientélistes et nuisibles ont accaparé, comme on pouvait le redouter, une partie des ressources auparavant dévolues à la recherche et à l'enseignement. Que reste-t-il de la volonté affichée de “simplifier” et de “rendre lisible” ? Rien, sinon une accumulation de nouvelles couches de millefeuille bureaucratique. Que reste-t-il de la volonté de coopération territoriale? Rien, sinon une mise en concurrence par une succession d’appels d’offres d’’’excellence” plus ineptes les uns que les autres. A croire que les objectifs affichés n’ont jamais été que des prétextes pour des manœuvres d’un autre ordre. L’arrêt de l’Idex porté par la ComUE Sorbonne Paris Cité est un signe des plus clairs, puisqu’il était porté par M. Merindol, ancien conseiller du chef de l’Etat et principal idéologue des ComUE pendant la phase d’élaboration du projet de loi. Il est trop tôt encore pour juger des conséquences des fusions de Strasbourg, d’Aix-Marseille et de Bordeaux en matière de recherche et d’enseignement. On sait déjà que les restructurations ont été extrêmement coûteuses, destructrices pour nombre de personnels et ont conduit à une perte d’influence des lettres et sciences humaines. En Ile-de-France, les fusions en mastodontes éclatés entre sites distants supposent non seulement de fusionner les services centraux mais surtout de faire supprimer ce que le découpage arbitraire fait apparaître comme des “doublons” disciplinaires. Dans le cas de Sorbonne Paris Cité, ce serait à l’évidence un désastre.
Reste la troisième forme de regroupement : la confédération d’universités et d’établissements qui, dans un cadre institutionnel souple et efficace, garderaient une taille humaine. Formule encore inexploitée, et pour cause : la DGESIP a tout mis en œuvre (mensonges, pressions, chantage aux ressources) pour qu’elle ne puisse être ni choisie ni même discutée. Notre groupe s’est précisément constitué pour proposer cette solution sous forme d’amendements à la représentation nationale. Et de fait, la forme confédérale de regroupement figure bien dans la loi. La confédération est le modèle britannique par excellence, avec des exemples aussi célèbres qu’Oxford, Cambridge ou University of London. Elle présente deux avantages essentiels : l’étendue et la souplesse. Un réseau de coopération comme celui que nous envisageons permet à la fois d’étendre à l’échelle de l’Île-de-France le maillage collaboratif, sans superstructures coûteuses, et de laisser toute leur autonomie aux établissements. Il évite ainsi l’îlotage absurde qui émiette aujourd’hui les ComUE de la région-capitale et la lourdeur contre-productive de structures pyramidales inspirées de modèles d’organisation dépassés. Vue de l’extérieur (par exemple, du classement de Shangaï qui constitue le B-A-BA de la pensée manageriale [6]), seule la confédération (la Sorbonne) apparaîtrait, entraînant une “lisibilité” et une “visibilité” sans équivalent. Nous disposons aujourd’hui d’un créneau politique favorable pour procéder à une recomposition du paysage de l’enseignement et de la recherche de l’Île-de-France. Quand M. Mandon déclare qu’“une structure fédérale peut tout à fait permettre une intégration poussée” et que la Région semble enfin décidée à “élaborer une stratégie régionale universitaire et de recherche”, quand tous les Idex franciliens ont été sanctionnés par le jury, le moment est venu de repenser, sur de nouvelles bases, l’organisation d’un ensemble cohérent et efficace, coopératif et confédéral.
[1] Le jury est nommé en application de la convention du 23 novembre 2010, sur proposition d’un comité de pilotage présidé par le ministre chargé de l’ESR, du DGRI, de la DGESIP et du DAFACMENESR, proposition validée par le CGI. Il comprend pour l’essentiel des personnes impliquées dans la technostructure universitaire ou industrielle. Hormis une astrophysicienne de renom, les profils académiques des membres du jury sont ternes. On retrouve plusieurs de ces noms dans les archives de la CPU. Plusieurs des membres sont en situation de conflit d’intérêt notoire. Examinons les profils du président et des vice-présidents. M. Rapp (juriste, 37 articles sur le droit des contrats, h number 0 à 65 ans) et M. Tarrach (physicien, h number 31 à 68 ans) se sont succédé a la tête d’un lobby bruxellois, l’Association des Universités Européennes. L’un et l’autre ont dirigé des universités (Lausanne et Luxembourg) situées dans les tréfonds du classement de Shangaï. Mme Crawford Heitzmann (chimiste, h number 13 à 49 ans), passée par L’oréal et Air Liquide, complète le trio. Voir [6] sur le facteur h.
[2] Cette démission a suivi la présélection de Lille par le jury Idex, quelques semaines avant le Congrès de Poitiers du Parti Socialiste. Lille n’a au final pas été sélectionnée.
[3] Reconnaissons à ce jury une forme d’humour, puisqu’il souligne dans l’évaluation de l’Idex toulousain que déléguer une prise de décision à un comité externe est un signe de faiblesse de la gouvernance.
[4] Malgré le désaveu cinglant du jury Idex et l’absence d’adhésion de la communauté universitaire à leurs menées, les dirigeants de la ComUE SPC n’ont pas démissionné et tentent d’utiliser la stratégie du choc pour procéder à une fusion désastreuse dès la mi-juillet.
[5] Denis Ranque (Airbus Group), Pierre Pringuet (Pernod Ricard), Olivier Zarrouati (Zodiac Aerospace), Marwan Lahoud (Airbus Group), Jean-Christophe Mieszala (McKinsey), Caroline Laurent (Direction générale de l'armement), Patrick Pouyanné (Total), Xavier Huillard (Vinci), Antoine Frérot (Veolia Environnement), Philippe Varin (Areva), Philippe Knoche (Areva), Laurent Giovachini (Sopra Steria), Bernard Arnault (LVMH), Claude Bébéar (fondateur d'Axa), Jean-Louis Beffa (Saint-Gobain), presque tous issus de Polytechnique.
[6] Le Ranking est avec l’Appel à Projets et l’Evaluation, un instrument de contrôle du néo-management. On pourra réfléchir à partir de l’exemple ridicule et bénin suivant, fourni par les comptes Twitter les plus influents. On y constate que l’ensemble des universitaires actifs en ont été gommés, au profit de la technostructure. Une seule exception, au rang 5: M.Bouvet, qui a lancé récemment le mouvement de soutien au premier ministre M.Valls, le Printemps Républicain. Notons qu’avec une note de 77, notre compte @gjpvernant aurait été largement en tête de ce classement.